Depuis la crise sanitaire, les outils de recrutement automatisés ont conquis les services RH. L’IA et les ATS (Applicant Tracking Systems) promettent de simplifier la sélection des candidats et d’accélérer les embauches.
Mais à mesure que les algorithmes s’invitent dans le processus, une interrogation grandit : le recrutement ne perd-il pas son humanité ?
Introduction
Selon Jobscan (2024), plus de 75 % des CV sont aujourd’hui filtrés automatiquement avant d’être vus par un recruteur. Ce tri algorithmique modifie les décisions d’embauche, mais aussi la nature même de la rencontre entre entreprise et candidat.
1. L’essor des ATS : gain de temps ou filtre déshumanisant ?
Un outil incontournable pour les recruteurs pressés
Face à une avalanche de candidatures — en moyenne 250 par offre selon Glassdoor (2024) —, les ATS comme Taleo, Workday ou SmartRecruiters permettent de trier et classer les profils en quelques secondes.
Résultat : un gain de productivité estimé entre 30 et 50 %, une meilleure traçabilité… mais aussi une sélection plus froide.
Des candidats écartés pour un mot manquant
L’efficacité des ATS repose sur des mots-clés. Un CV mal calibré peut être rejeté malgré des compétences solides.
D’après le Harvard Business Review (2023), près de 10 millions de travailleurs auraient déjà été écartés à cause d’un filtrage trop rigide.
Exemple : un ingénieur indiquant “gestion des pannes” plutôt que “maintenance préventive” peut être exclu du processus, simplement parce que le bon mot-clé n’apparaît pas.
Des biais amplifiés par les données
Les ATS apprennent des pratiques passées : si les recrutements précédents ont favorisé un certain type de profil, l’algorithme risque de reproduire ce schéma.
L’OCDE (2024) souligne ainsi que les outils RH d’IA peuvent, faute de transparence, renforcer les discriminations existantes, notamment liées au genre, à l’origine ou à la formation.
2. L’intelligence artificielle : l’illusion d’une neutralité totale
Des algorithmes à chaque étape du recrutement
L’IA ne se limite plus au tri des CV. Elle intervient dans la rédaction des offres, les tests de personnalité et même l’analyse des entretiens vidéo.
Des plateformes comme HireVue ou Pymetrics évaluent le ton, le regard ou la posture pour estimer les “soft skills” d’un candidat.
Selon Gartner (2025), 42 % des grandes entreprises utilisent déjà ce type de solutions.
Quand l’algorithme se trompe de cible
L’exemple d’Amazon reste emblématique : son IA de recrutement, entraînée sur des données historiques, rejetait systématiquement les candidatures féminines. Le projet a été abandonné en 2022 après un rapport de Reuters.
En France, la CNIL (2024) rappelle que toute décision influencée par un algorithme doit pouvoir être révisée par un humain, pour éviter les erreurs et les biais cachés.
Le recul des interactions humaines
Parallèlement, la multiplication des entretiens vidéo ou des tests automatisés réduit les échanges directs.
Le baromètre APEC 2025 révèle que 64 % des cadres estiment que les processus sont devenus “trop technologiques” et nuisent à l’évaluation des qualités humaines.
Le candidat ne rencontre plus un recruteur : il rencontre un système.
3. Des décisions de recrutement plus rapides, mais parfois moins justes
Le règne de la donnée
Les recruteurs s’appuient désormais sur des scores de compatibilité et des analyses comportementales pour décider. Cette approche “data-driven” accélère les choix, mais peut aussi appauvrir la diversité des profils.
Une enquête du Financial Times (2024) a montré qu’une grande banque européenne, après deux ans d’usage d’un ATS, avait constaté 15 % de baisse de diversité de formation parmi ses embauches.
Moins de rencontres, plus de turnover
Le risque est clair : un candidat peut correspondre à tous les critères techniques sans adhérer à la culture d’entreprise.
D’après PwC (2024), les recrutements menés sans entretien physique affichent un taux de rupture de contrat 30 % plus élevé dans la première année.
L’humain reste donc essentiel pour valider l’adéquation entre les valeurs du candidat et celles de l’entreprise.
4. Réconcilier technologie et relation humaine
L’IA comme partenaire, pas comme décideur
Certaines entreprises ont trouvé un équilibre. L’Oréal et Decathlon, par exemple, utilisent l’IA pour préqualifier les candidatures, mais maintiennent systématiquement une rencontre humaine avant toute décision finale.
Ce modèle hybride permet d’allier rapidité et discernement, sans sacrifier l’intuition du recruteur.
L’impact sur les candidatures
Le temps de la prise de conscience, de l’évolution des habitudes des entreprises, du recentrage dans les méthodes de recrutement sera long et touchera les secteurs de façon très diversifiées. Les candidatures doivent en prendre note et faire évoluer leurs méthodes de candidatures pour se voir proposer les jobs recherchés ?
Le retour du contact réel
Face à la déshumanisation ressentie, de plus en plus d’entreprises réintroduisent des job-datings, des rencontres immersives ou des portes ouvertes.
Ces moments de contact direct permettent de ressentir l’énergie d’un candidat — ce qu’aucun algorithme ne peut encore reproduire.
Conclusion
L’IA et les ATS ont transformé le recrutement en profondeur. Ils ont permis de gagner du temps, d’uniformiser les process et de réduire certains biais… tout en en créant de nouveaux.
À l’heure où les algorithmes trient avant même que les humains ne se parlent, il devient urgent de remettre la relation au cœur du processus.
Le recrutement de demain sera sans doute hybride : intelligent, automatisé, mais toujours profondément humain.
Sources
- Jobscan (2024) – ATS & Resume Optimization Study
- Glassdoor (2024) – Global Hiring Trends
- Harvard Business Review (2023) – Hidden Workers Report
- OCDE (2024/) – AI and Work Inclusion
- Gartner (2025) – HR Tech Outlook
- Reuters (2022) – Amazon scraps AI recruiting tool
- CNIL (2024) – IA et recrutement : recommandations éthiques
- APEC (2025) – Baromètre Cadres et IA dans le recrutement
- Financial Times (2024) – Automated hiring and diversity gap
- PwC (2024) – Workforce Hopes & Fears